Explorer les projets d'investissement agricole
Un voyage de deux semaines explore les moyens de maximiser les avantages et de minimiser les risques des outils d’investissement agricole en Afrique.
Un voyage de deux semaines explore les moyens de maximiser les avantages et de minimiser les risques des outils d’investissement agricole en Afrique.
Jour onze : Le potentiel des agropoles et des couloirs agricoles
Jour dix : Tournesol et haricots verts : femmes, faites le pari sur l’avenir !
Jour neuf : La force d’un entrepreneur
Jour huit : Saisir le potentiel de l’irrigation en Tanzanie
Jour sept : Adieu Burkina !
Jour six : Nous aurions pu mieux faire
Jour cinq : L’emploi, toujours l’emploi
Jour quatre : Le poumon de Bagrépôle
Jour trois : Les agropoles vus de Madagascar
Jour deux : Les agropoles sont-ils des outils adéquats pour atteindre l’objectif de développement poursuivi ?
Jour un : Notre voyage d'étude débute…
Jour onze : Le potentiel des agropoles et des couloirs agricoles
Notre voyage prend fin et nous avons voulu recueillir les impressions et les leçons apprises par un de nos compagnons de voyage, Nicolas Kobiane, Secrétaire général de Bagrépôle. Selon lui les deux étapes de la mission au Burkina Faso et en Tanzanie étaient nécessaires pour mieux comprendre la complexité des approches des agropoles et des couloirs agricoles.
« Il est essentiel que ce type d’initiative repose sur un engagement politique. Celui-ci doit être permanent et soutenir tout le processus, » dit dit-il. « Les deux initiatives sont des expériences en cours de développement qui doivent être analysées sur le long terme. Et bien que différents, il existe plusieurs similarités entre la SAGCOT et Bagrépôle en ce qui concerne leurs objectifs et leurs enjeux. Il nous faut en tenir compte et bien les maîtriser pour permettre un investissement réussi. »
Les deux approches visent la croissance agricole, la réduction de la pauvreté et l'ouverture des zones enclavées en s’appuyant sur les politiques agricoles qui reposent sur des investissements dans l'industrie agroalimentaire et le développement des infrastructures, nous fait-il remarquer. Selon M. Kobiane, les agropoles, tout comme les couloirs agricoles sont conçus pour être une réponse viable et pérenne aux problèmes structurels. Ils visent à faire de l’agriculture un moteur de la stimulation de l’économie rurale.
M. Kobiane reconnait les grands défis liés à ce type de projet dont notamment les déplacements des populations, les conflits sociaux et la sauvegarde de l’environnement. Pour lui, la régularisation foncière consiste à réussir une allocation des terres qui puisse intégrer les petits et grands producteurs aux projets d'agropoles et promouvoir une agrégation agricole.
« Les terres représentent un capital essentiel de l’agropole, » nous fait-il remarquer. « Il ne faut pas négliger l’importance des mécanismes de compensation des personnes affectés par le projet ainsi que l’adhésion des bénéficiaires au projet. À Bagrépôle, en plus des indemnisations pour la perte de récoltes et de la compensation "terre contre terres," nous avons prévu des mesures d’accompagnement pour faciliter la mise en valeur économique des terres allouées aux personnes affectées par le projet sur le périmètre irrigué. »
Ces deux expériences que sont Bagrépôle et la SAGCOT reposent sur des projets d’aménagement du territoire, note M. Kobiane. « L’identification de la zone et le respect du plan national d’aménagement directeurs sont des éléments d’attention pour valoriser les potentialités de ces approches. » De plus, « le défi est d'avoir une entité qui assure aussi bien le rôle d’animation que de coordination entre des acteurs et qui facilite des liens entre les entreprises. Le mandat de ces entités, tout comme leur ancrage institutionnel doivent être cohérents aux vues des objectifs poursuivis. »
« L' investissement public structurant est l’épine dorsale de la réussite des agropoles, mais le problème c’est le financement : ces initiatives sont couteuses et nécessitent des moyens importants. Il faut des stratégies de financement telles que les partenariats publiques-privés. » La mise en place des infrastructures, c’est-à-dire l’énergie, les routes, les aménagements hydroagricoles, barrages, et même la question sécuritaire contribuent, selon lui, à l’établissement d’un climat propice des affaires afin de mieux mobiliser le secteur privé.
Il est attendu des investisseurs privés qu’ils transforment ces opportunités en entreprises dynamiques et rentables, créatrices de richesses et d’emplois durables. Les pays ont procédé à des réformes portant sur des mesures incitatives spéciales, dont un régime fiscal et douanier favorable ou un guichet unique pour faciliter l’accomplissement de toutes les procédures d’exercices des activités économiques. Ce sont tous des instruments pour attirer un secteur privé qui reste cependant bien timoré.
Jour dix : Tournesol et haricots verts : femmes, faites le pari sur l’avenir !
Anjelina Kitime est veuve. Elle vit à Iringa dans le village de Mgama. A la mort de son époux, elle s’est retrouvée seule à élever leurs enfants. Pour subvenir à leurs besoins elle dépend de la parcelle de 2 hectares héritée de son mari. Jusqu’à son acceptation au programme de l’Initiative Clinton pour le développement, il y a dix mois, elle dédiait la totalité de sa parcelle à la production de tomates, maïs et pommes de terres dont une partie servait à la consommation du ménage et comme donations pour les frais de scolarité de ses enfants. L’autre partie était revendue au marché. Aujourd’hui, 80% de son champ accueille une nouvelle production : le tournesol. Anjelina est enthousiaste : « Les semences sont moins chers que les autres produits que je peux planter ici. Et vous voyez, comme mes plantes sont belles et grandes. La fondation m’a montré comment préparer le sol et planter des semences plus robustes et utiliser les engrais au bon moment ».
Anjelina, comme les six femmes, membres de la banque de la communauté villageoise (Village Community Bank) de Kitowo que nous avons rencontrées, ne connaissent pas le Centre SAGCOT et encore moins son rôle. Elles ont été sélectionnées par l’Initiative Clinton suivant des critères tels que « avoir quelques notions en lecture, mathématiques, et technologie, être en possession d’un certificat de propriété du terrain sur lequel il ou elle exerce son activité…», nous explique Monsiapile Kajimbwa, le directeur agribusiness au niveau pays de la Fondation.
Clinton Development Initiative est l’un des intervenants dans la région de la SAGCOT qui promeut des investissements dans la chaîne de valeur socialement inclusifs et écologiquement durables. L’organisation a développé un programme qui vise l'autonomisation économique des petits exploitants agricoles à Iringa par une approche dite de l'agro-industrie communautaire. Celle-ci permet à la communauté de gérer son propre approvisionnement en semences, de la commercialiser et de gérer son accès au financement.
Les femmes nous disent avoir été convaincues par l’Initiative de planter des haricots secs et reconnaissent le mérite aux personnels de l’Initiative de les avoir formées, donner des semences et des engrais à des conditions préférentielles pour l’introduction de cette nouvelle culture. « Je suis au champ de 6 heures à 14 heures tous les jours », nous dit l’une d’entre elles. « Augmenter les rendements c'est assez simple, surtout avec les bonnes techniques que l’on nous a transmises », ajoute une autre. Les haricots secs sont une nouvelles variétés que la fondation promeut. Toutefois, l'une des principales tâches des agents de l’initiative sur le terrain consiste à les persuader qu'elles seront rémunérées, et qu’il existe bien un marché pour les nouveaux produits. Mais une inquiétude demeure cependant quand une d’entre elles dit « mais où sont les clients ? Où et à qui allons-nous vendre ces haricots ? ».
Il a été donné aux femmes une « liste » de potentiels acheteurs et les femmes semblent ne pas savoir ou se trouve le centre de collecte dont les agents de l’initiative nous parlent. « Elles trouveront à vendre les produits, le marché est là, il existe bien » confirme Thobias Mville, gestionnaire du développement agricole à la Fondation. Cependant les femmes n’ont pas encore rencontré d’acheteurs et aucune promesse n’a encore été faite aux paysannes sur les quantités qui leur seront achetées et à quel prix.
Nous apprenons du personnel du centre de la SAGCOT et du représentant du Bureau du Président à l’autorité locale qu’aucun système n’a été créé pour limiter les risques pris par les petits producteurs. Ils assument eux-mêmes les risques de cette transformation voulu par le pays. Ils n’existent en effet pas de système d’assurance sur les produits agricoles, nous dit-on et encore moins d’aides ou de système de protection pour les petits paysans.
L’actif de Anjelina est son terrain. Que fera-t-elle en cas de mauvaises ventes, de mauvaises récoltes ? Il est fort probable que les plus vulnérables seront tenté de vendre leur source de revenu.
Jour neuf : La force d’un entrepreneur
Aujourd’hui, nous avons rencontré un entrepreneur inspirant qui incarne la transformation agricole, un aspect du développement économique qui consiste à passer de l’agriculture de subsistance à l’agriculture commerciale. Felix Mpiluka est producteur laitier. Il possède 250 vaches et habite dans le village d’Ilandutwa dans les hautes terre du sud de la Tanzanie. Il parcourt régulièrement 60 kilomètres jusqu’à Iringa, la ville la plus proche, afin de livrer sont lait frais à l’usine laitière ASAS, que nous avons aussi visitée.
Sa ferme n’a ni électricité ni eau courante. Les conditions routières difficiles entre Ilandutwa et Iringa rendent son travail encore plus compliqué. Mais ces obstacles ne le découragent pas : pour lui, ce sont plutôt des occasions lui permettant continuellement d’innover et de se renouveler.
M. Mpiluka nous a guidés à travers chacune des innovations qui lui ont permis d’entretenir et d’accroître son entreprise laitière. Tous les soirs, il entrepose son lait dans un bain en brique afin de le garder au frais en attendant la livraison quotidienne à Iringa. Cet exemple d’innovation lui permet de gagner 12 heures de plus avant que le lait ne soit avarié.
Il se sert aussi d’un four en argile pour nettoyer les bidons en métal dans lesquels il transporte son lait. Cette méthode lui permet d’assurer que son lait satisfait les plus hauts critères de salubrité et d’innocuité. « C’est une technique empruntée d’Europe, » dit-il. « Je brûle une bûche de bois tous les deux jours. C’est très écoénergétique. »
« La clé de notre succès, c’est la simplicité. Nous utilisons des technologies simples. Rien de trop élaboré ou sophistiqué. Nous arrivons quand même à produire une bonne quantité de lait de haute qualité, » nous a-t-il dit.
L’an dernier le gouvernement local a envoyé une lettre aux gens de la région leur avisant d’occasions croissantes de vente de lait. En même temps, le gouvernement a annoncé qu’ils allaient électrifier la région.
M. Mpiluka a tout de suite flairé la bonne affaire. Il s’est préparé à l’arrivée de l’électricité. Il a premièrement obtenu un prêt de la Banque de développement agricole de la Tanzanie, qui a été mise sur pied en 2015 afin de financer les fermiers et des projets agricoles divers. Avec son prêt, il a acheté deux cuves de refroidissement pouvant contenir 3 000 litres de lait chacune.
« Les deux cuves permettent de conserver le lait pendant trois ou quatre jours. Nous pouvons maintenant livrer le lait à l’usine ASAS une ou deux fois par semaine plutôt que chaque jour. Nous gagnons ainsi beaucoup de temps tout en épargnant les coûts de transport ! » dit-il.
« De plus, » poursuit-il, « j’ai établi un centre de collecte du lait et j’offre aux producteurs laitiers des huit villages environnants un service d’entreposage et de transport. »
Malgré l’électrification de la région, les pannes sont fréquentes. M. Mpiluka a donc acheté une génératrice seconde-main et s’en sert en cas de panne. « J’ai appris que l’ambassade du Royaume-Uni en Tanzanie vendait sa vieille génératrice. Je me suis rendu à Dar Es-Salaam pour en apprendre plus. Je l’ai acheté sur le champ. C’est la meilleure marque ! »
De tels exemples d’innovation et de sens des affaires, il aurait pu nous en raconter pendant des heures. « Vous êtes une source d’inspiration pour nous et pour tous les habitants de notre pays, » a dit M. Nicolas Kobiane de Bagrépôle au Burkina Faso. « Merci d’avoir partagé avec nous votre incroyable parcours de transformation de l’agriculture de subsistance à l’agriculture commerciale. »
Au terme de notre rencontre avec M. Mpiluka, nous nous sentions tous épuisés, mais remplis d’admiration et surtout d’humilité. Nous avons fait la connaissance d’un producteur laitier infatigable, dévoué à son travail et dont la créativité est sans fin.
Jour huit : Saisir le potentiel de l’irrigation en Tanzanie
Un thème important qui a émergé lors de notre première journée en Tanzanie est l’importance de développer des plans d’irrigation efficaces qui soutiennent les petits producteurs. Priscila de Andrade, nouvelle associée de l’IISD, s’est jointe à nous en Tanzanie. Elle a aussi contribué à cet article de blogue. Ensemble nous avons rencontré des représentants de la National Irrigation Commission (NIC) de la Tanzanie, l’autorité responsable de l’irrigation au pays. Nous avons aussi discuté avec des membres de l’Agence de coopération internationale du Japon (JICA), dont l'aide publique au développement se concentre depuis sa création en 1974 sur l’amélioration des réseaux d’irrigation et la productivité rizière.
L’évaluation des réseaux d’irrigation en Tanzanie suscite des opinions partagées. « L’investissement est faible, le secteur privé y participe peu et le taux de réinvestissement dans l’entretien des plans d’irrigation est insuffisant, » dit Doris Sendewa, économiste avec la NIC.
Malgré ces défis, quelques représentants gouvernementaux ont quand même relevé des avancements importants. Mais il y a encore beaucoup de travail à faire afin que le réseau d’irrigation atteigne son plein potentiel.
« Nous avons fait beaucoup de progrès et la productivité rizière s’est améliorée de façon importante, » a dit M. Fumihiko Suzuki, représentant principal de la JICA en Tanzanie. « Mais il demeure que trois facteurs sont essentiels au succès du secteur : premièrement, il faut assurer la qualité des matériaux. Deuxièmement, il faut assurer une alimentation en eau saine et stable en bien gérant la compétition avec les utilisateurs en amont. Troisièmement, il faut renforcer les rapports avec les paysans qui utilisent l’irrigation afin d’assurer le bon fonctionnement des réseaux à long terme. »
Les représentants gouvernementaux de la Green Belt Authority (GBA) au Malawi ont aussi partagé leurs expériences de développement de plans d’irrigation à grande échelle. « La meilleure façon de réussir est de s’assurer que le développement de l’irrigation soit basé sur la demande des utilisateurs. Le développement d’un plan d’irrigation ne doit pas être imposé à l’aide d’une approche descendante, » a dit Alex Nthonyiwa, ingénieur en irrigation avec la GBA. « Il est tout aussi important de soutenir et de renforcer les capacités des bénéficiaires afin d’assurer la bonne gestion des plans d’irrigation, » a ajouté Catherine Wandale, directrice des ressources humaines chez la GBA.
Nous avons aussi visité GBRI, une compagnie privée nationale établie dans le Southern Agricultural Growth Corridor (SAGCOT) qui est dirigée par une jeune entrepreneure, Hadija Jabiry. GBRI fourni des produits horticoles tels que des haricots verts, des mini épis de maïs et des tomates au marché local et les exporte aussi à l’étranger. La compagnie maintient un réseau d’agriculture contractuelle d’environ 240 petits producteurs, dont 40 sont des femmes.
« Nous existons depuis près de trois ans et malgré que nous ne réalisions pas encore de bénéfices, notre équipe est dévouée et nos partenaires, dont la SAGCOT, nous soutiennent et contribuent à notre succès, » explique Chacha Magige, qui dirige l’exportation et les opérations chez GBRI.
GBRI se trouve dans la grappe agricole d’Ihemi, une des agglomérations d’entreprises phares du SAGCOT. Selon le SAGCOT, fort de sa population de 1,64 millions d’habitants, l’agriculture vivrière de la grappe agricole d’Ihemi « pourrait soutenir l’alimentation de plusieurs régions, et ce au cours de l’année entière. »
Le temps est venu de quitter le Burkina Faso, pays qui nous a permis de mettre le projet d’agropole en perspective. Cette expérience d’échange et de partage sur les modèles des agropoles, réponse d’une vision africaine pour transformer le secteur agricole, a été riche et intense sur le plan humain. Les représentants des pays africains (République démocratique du Congo, Madagascar, Malawi, Mali, Sénégal et Togo) ont appris de l’expérience du Burkina Faso et ont initié un réseau sur les meilleures pratiques en investissement agricole.
Bagrépôle est-il un modèle de succès ? Les sentiments sont partagés parmi les représentants des gouvernements qui nous accompagnent.
« Ils ont pensé à tout ! » admire M. Pyaabalo Alai du Togo. « Il n’y pas que les aménagements. Le volet social (écoles et hôpitaux) a aussi été pris en compte et intégré au projet. Tous les dispositifs sont là : électricité, irrigation, barrages, aménagement, inclusion des petits producteurs… même une banque. Il y a aussi un cadre institutionnel et législatif, le partage de responsabilité entre les différents acteurs et des outils comme des cahiers de charge. Nous au Togo, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir. »
Les responsables de Bagrépôle, quant à eux, ne reconnaissant pas en Bagrépôle un modèle de succès mais plutôt un travail encours.
« Il faut donner du temps à ces types de projet. L’agropole n’est pas un simple projet agricole et nous ne sommes qu’à la phase de démarrage. Si nous voulons transformer l’agriculture, il faut intégrer des aspects importants qui ne peuvent généralement pas être couverts ou pleinement exploités par une stratégie sectorielle ou une mesure d'infrastructure unique, » nous dit M. Joseph Martin Kaboré, Directeur Général de Bagrépôle.
Lors du dernier jour de notre voyage d’étude, nous avons rencontré des représentants de ROPPA, une association d’organisations paysannes de l’Afrique de l’Ouest.
« Nous sommes pour l’investissement, » nous dit son secrétaire général, M. Ousseini Ouedraogo. « Mais tout investissement qui n’est pas dirigé vers l’agriculture familiale n’est pas un bon investissement. »
M. Ouedraogo reproche à Bagrépôle le fait de n’avoir pas été conçu à travers un processus de consultation nationale. Il regrette que les paysans n’aient pas été impliqués lors de la concertation et lors du développement de l’initiative. Les membres de ROPPA rejettent Bagrépôle et lui préfèrent l’ECOWAP (la politique agricole des états de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) notamment parce que cette politique exprime une vison régionale consensuelle.
Que l’initiative de Bagrépôle soit critiquable ou non, qu’il soit pour certains un modèle à dupliquer ou à éviter, chacun partira avec ses convictions. Mais une chose est certaine : les hommes et les femmes qui travaillent sur le projet pilote de Bagrépôle forment une équipe fortement dédiée à voir ce projet prendre l’ampleur qu’il mérite. Nous admirons ces gens qui nous ont fait voyager et nous ont permis de vivre un enthousiasme collectif.
Jour six : Nous aurions pu mieux faire
« Le projet n’a pas fonctionné comme nous l’aurions voulu, » nous explique Mr Roger Kabongo, chargé de mission à l’agropole de Bukanga Lonzo en République Démocratique du Congo. « Nous nous sommes précipités ; par conséquent, nous n’avons pas donné tout le sérieux nécessaire aux procédures et à la planification. Les études de faisabilité et les études d’impact l’environnemental et le social n’ont pas été concluantes et peu de considération a été portée sur les enjeux du fonciers. Nous aurions pu aussi mieux intégrer la société civile dans le processus. »
Ce constat fait écho au récent rapport de l’Institut Oakland. « Mais nous n’abandonnons pas. Nous voulons essayer encore. Nous voulons corriger nos erreurs et nous réussirons à faire mieux. » M. Kabongo nous plarle de la mise en place de quatre agropoles à travers le pays.
Augustin Mpoyi Mbungu, Directeur du CODELT et associé à l'IISD demeure pour sa part optimiste : « L’expérience de Bukanga Lonzo aura au moins permis à la RDC de tirer des leçons du processus en cours de la réforme foncière, et plus spécialement dans le premier projet du Document de Politique Foncière Nationale, qui attend d’être validé. »
« L’un des éléments importants de ce document est la référence aux sauvegardes sociales pour limiter les effets pervers des projets sur les droits et intérêts locaux des populations. Ils permettront de prémunir les parties prenantes locales contre les risques éventuels d’éviction, » précise-t-il.
Au nombre des sauvegardes qui sont envisagées dans le projet du Document de Politique Foncière Nationale figurent ceux-ci:
- Les titres fonciers collectifs qui reposent sur le droit coutumier avec la possibilité ouverte aux membres des communautés de prétendre à des titres délivrés localement.
- Le droit au consentement libre, préalable et informé des communautés et personnes susceptibles d’être affectées par un projet d’investissement foncier.
- Le droit à la compensations pour les pertes ou les modifications subies par les communautés et/ou les personnes affectées, y compris celles de réinstallation en cas de déplacement.
- Le droit à la participation aux processus de prise des décisions.
- Le droit au recours à l’accès à la justice simplifiée, qui est une réponse aux contraintes, à la lourdeur et aux délais qu’impose le système judiciaire moderne.
Les processus de la réforme foncière en RDC jettent les jalons d’un système foncier plus égalitaire. Nous sommes conscients que la loi à elle seule ne suffit pas à garantir les droits des communautés, mais nous gardons espoir que la loi congolaise devienne de plus en plus progressiste et qu’elle reconnaîtra le droit formel de tous les usagers légitime des terres, peu importe s’ils sont enregistrés ou non. Ceci représente le fondement d’un investissement responsable et durable.
Jour cinq: L’emploi, toujours l’emploi
Nous avons axé nos visites d’aujourd’hui sur l’éducation et les projets de formation. Nous avons eu la chance de rencontrer des étudiants et enseignants et d’en apprendre plus sur les communautés dans lesquelles ils vivent. Nous avons premièrement visité la Training Institute for Rural Development (IFODER), qui enseigne à des jeunes de 18 à 25 ans de meilleures techniques agricoles, de commercialisation et de marketing. Plusieurs de ces jeunes étudiants ont de la difficulté à trouver du travail une fois leur formation terminée à cause d’un manque d’occasions économiques dans leurs régions.
« Peu d’étudiants issus du premier cours ont trouvé de l’emploi. Nous avons besoin que plus d’investisseurs privés s’établissent ici et créent des occasions d’emploi, » dit Laurent Kiwallo, le directeur de l’institut. Il se sent cependant rassuré par le fait que ces jeunes gens sont motivés et veulent contribuer au secteur agricole. Ils ont développé des compétences essentielles et ont même obtenu leurs permis de conduire.
Le directeur entrevoit établir des incubateurs d’entreprises agricoles dans la région. Ces incubateurs sont des mécanismes visant à faciliter la croissance et l’innovation au sein de compagnies agricoles, entre autre en leur donnant accès à des services financiers. Les incubateurs servent ultimement à stimuler l’innovation et créer de nouveaux emplois.
Plus tard, nos avons visité une école primaire de 220 élèves établie par Bagrépôle grâce à des ententes avec le Ministère de l'Éducation Nationale et de l'Alphabétisation du Burkina Faso. Ces ententes ont permis d’assigner du personnel enseignant à la nouvelle école. « L’école comprends présentement trois classes pour les six à huit ans. C’est un bon début, mais nous espérons obtenir du Ministère la possibilité de passer à une école primaire complète qui comprend toutes les classes, » nous a dit un jeune enseignant devant sa classe.
Dans cette région, fournir une éducation de base, créer de l’emploi et développer des occasions économiques durables sont des défis de taille. Même si Bagrépôle a déjà mis en place plusieurs projets de formation, de renforcement des capacités et de soutien, améliorer les marchés afin d’assurer que ces jeunes étudiants se trouvent du travail une fois adultes sera le prochain obstacle à surmonter.
Jour quatre : Le poumon de Bagrépôle
Les images par satellite de l’agropole de Bagré, dessinent une vaste tache verte en aval du barrage posé sur le fleuve Nakambé qui contraste avec l’aridité du reste du territoire. Nous voici pour ce second jour à visiter l’un des ouvrages phare du pays : le barrage de Bagré.
C’est sur cet infrastructure majeur que le gouvernement s’appuie pour transformer son agriculture en se concentrant notamment sur les changements de pratiques agricoles.
Nous rencontrons Halidou Dabré, petit exploitant familial qui possède une riziculture de d’un hectare. Il nous parle de son rendement et dévoile son chiffre d’affaire annuel. Que penser de ces performances ? Une étude menée par Global Water Initiative et Bagrépôle indique que les périmètres aménagés sont à l’origine de 50 pourcent à 90 ppourcent des revenus des producteurs et reconnaît que ce système participe au développement économique local et à la sécurité alimentaire. Toute proportion gardée, le rapport précise que seuls quelques producteurs bénéficiant de plus d’un hectare se situent au-dessus de seuil de pauvreté.
Les périmètres aménagés associés aux grands barrages sont des ouvrages coûteux dont les redevances payées de manière aléatoire par les usagers évoquent la question de la durabilité des infrastructures. Par ailleurs, étant donné que la demande d’eau va augmenter de manière exponentielle au regard de superficies en cours d’aménagement, le financement de l’usage de l’eau doit être pérenne.
Cependant, les aléas climatiques régulièrement constatés en Afrique de l’ouest et qui conduisent à craindre de l’instabilité alimentaire et nutritionnelle chronique et poussent aussi à réfléchir à la manière dont ce type d’infrastructure doit être optimisée d’un point de vue économique et écologique.
Jour trois : Les agropoles vus de Madagascar
Nous avons passé les deux premiers jours du voyage d’étude dans la capitale du Burkina Faso à rencontrer les représentants gouvernementaux du pays et à entendre leurs réactions au sujet des régimes et droits fonciers. Aujourd’hui nous avons visité l’agropole à Bagré dans le sud-est du pays.
Mais avant de nous rendre à Bagré, nous avons fait le point avec une participante au voyage afin de savoir ce qu’elle a appris et ce qu’elle souhaite encore savoir.
Lié Maminiaina de Madagascar nous a raconté que le point fort du voyage d’étude est l’importance d’établir des priorités spécifiques lors du développement d’un agropole, surtout parce que ces priorités aideront à guider le projet du début à la fin. Par-dessus tout, dit-elle, tout projet d’agropole doit être guidé par un objectif principal : « éliminer la pauvreté et assurer la sécurité alimentaire. »
Les projets d’agropoles doivent aussi être inclusifs à la base. Ils doivent s’assurer que la société civile, les petits producteurs et le secteur privé local participent au projet dès la planification et jusqu’à sa mise en œuvre. Bagrépôle, par exemple, compte parmi ses partenaires la Chambre de commerce locale et la Maison de l’Enterprise. Il est aussi important de considérer l’agriculture contractuelle, rajoute Lié.
Lié a aussi remarqué à quel point il est important de s’assurer que les populations affectées par les agropoles soient régulièrement informées et impliquées dans le projet. Les populations locales doivent avoir la chance de partager leurs opinions et expériences. Lié a cité l’ouverture de Radio Bagré et sa diffusion en plusieurs langues comme exemple à suivre.
Afin de réussir, les agropoles doivent bénéficier d’un soutien politique, d’une infrastructure et d’investissement publique, mais il y a plusieurs autres facteurs essentiels au succès d’un tel projet. Le projet ne doit pas s’arrêter à la transformation de la production agricole à cours-terme ; celui-ci doit atteindre des objectifs de développement durable et ne doit pas créer de nouveaux problèmes, ni d’aggraver les problèmes auxquels font déjà face la population locale.
Selon Lié, « les régimes fonciers doivent être gérés prudemment afin qu’ils ne fassent de mal à personne. » Ce principe a été fréquemment mentionné lors de nos discussions avec les représentants gouvernementaux mardi. Avant de lancer un project d’investissement agricole, il est essentiel de bien mener des études de faisabilité et d'impact environnemental et social de grande qualité.
Il doit y avoir un contrôle suivi du processus d’agropole, dit Lié, à travers un mécanisme institutionnel et l’implication du ministère approprié.
Au terme de notre conversation avec Lié, nous nous sommes sentis inspirés. Lié a saisi tous les enjeux importants : l’inclusion, les considérations environnementales et sociales et les rôles variés de personnes clés. Nous avons hâte de partager avec vous ce que nous observerons demain sur le terrain.
Jour deux : Les agropoles sont-ils des outils adéquats pour atteindre l’objectif de développement poursuivi ?
À Ouagadougou, première escale avant de prendre la route pour Bagré, une question essentielle est soulevée : les agropoles sont-ils des outils adéquats pour atteindre l’objectif de développement poursuivi? Pour les nombreuses personnes avec lesquelles nous avons discuté, il ne fait aucun doute. Les agropoles sont conçues comme des instruments stratégiques permettant d’atteindre la croissance et la réduction de la pauvreté. Ils portent l’ambition d’être ce levier de transformation tant voulu par les gouvernements.
Aussi grandes que soit l’ambition des objectifs de développement durable que poursuivent ces modèles, ils comportent aussi des écueils. Plusiers facteurs augmentent les risques et réduisent les effets positifs recherchés.
Comment assurer ces ambitions lorsque l’investissement étranger est difficile à attirer? L’une des approches mise de l'avant par Bagrépôle est de baser le modèle de développement de l’agropole sur le secteur privé domestique. Le secteur privé a été impliqué dans la conception du projet dès le début, notamment lors de la définition de la vision sur laquelle repose l’agropole.
Le modèle répandu est de considérer l’agropole comme un outil d’attraction de l’investissement étranger, arguant que ce dernier pourrait assurer la transformation agricole tant désirée. Mais ne serait-il pas plus pertinent pour les pays de mettre en avant leurs secteurs privés? Bagrépôle vient de faire le pari d’une réussite par le national pour le national. Une alternative qui mérite d’être exploré.
Jour un : Notre voyage d'étude débute…
Premier jour de notre voyage d'étude. Il y a de cela un an, dirigés par Madagascar, des responsables gouvernementaux de toute l'Afrique qui s'efforcent d'attirer des investissements privés dans les zones rurales ont lancé cette initiative. Influencés par une tendance croissante issue d’ Asie, ils considèrent que les zones agricoles, les agropoles, les parcs et les couloirs représentent des outils de valorisation de la production agricole primaire et de développement de l’agro-industrie. Ces instruments ont pour but ultime de renforcer la sécurité alimentaire et de réduire la pauvreté.
Cependant l'expérience des agropoles et des couloirs en Afrique jusqu'à présent a été largement négative (FMI et al, FAO, Banque mondiale) et fait l'objet de vives critiques. Les agropoles et couloirs sont accusés d’exclure les petits producteurs, de miner la sécurité alimentaire et de favoriser l’accaparement des terres. Certains préconisent leur arrêt total (ROPPA, Oxfam, Oakland Institute).
Alors pourquoi entreprenons-nous un tel voyage ? Et qu'espérons-nous en tirer ?
Depuis plus d'une décennie, l'IISD conseille les gouvernements et les parlementaires sur la façon d'attirer des investissements responsables pour atteindre le développement durable. Lorsqu'il est bien conçu, l'accroissement de l'investissement privé peut contribuer à stimuler la production, à créer des emplois, à accroître les revenus et à promouvoir le développement économique. Cependant, lorsque ce n’est pas le cas, il peut exacerber la pauvreté et les inégalités, violer les droits fonciers, miner les moyens d'existence des petits producteurs et plus particulièrement avoir de graves répercussions pour les femmes et appauvrir les terres, l'eau, le sol et les autres ressources naturelles. Les personnes qui nous accompagnent sont bien conscientes de ces risques et travaillent à limiter leur ampleur, voire à les éviter entièrement.
Compte tenu de ces risques importants, l'IISD ne fait pas la promotion ni ne plaide en faveur des agropoles, des couloirs ou de tout autre outil spécifique pour attirer l’investissement responsable dans l'agriculture.
Cependant nous croyons que l'investissement privé est nécessaire pour parvenir à un développement durable ; c'est pourquoi nous travaillons avec les gouvernements pour élaborer des cadres juridiques et politiques solides qui maximisent les avantages et minimisent les risques de l'investissement privé.
Au cours des deux prochaines semaines, nous espérons que les représentants des pays qui nous ont rejoints trouveront réponse à certaines de leurs questions et préoccupations sur les agropoles et les couloirs agricoles. Nous espérons en apprendre plus sur ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et comment les choses peuvent être améliorées. Nous partagerons les histoires des personnes que nous avons rencontrées et de celles que nous rencontrerons lors de ce voyage d'étude des agropoles et des couloirs agricoles du Burkina Faso et de la Tanzanie.
- Francine Picard et Carin Smaller
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