La crise du règlement des différends de l’OMC se termine : quelle direction prendre maintenant ?
Bon nombre des différends entre les membres de l’OMC sont en suspens alors que les États-Unis continuent de bloquer les nominations à l’organe chargé d’examiner les appels. Simon Lester de WorldTradeLaw.net and China Trade Monitor, expose les causes de la crise, et ce qu’il convient de faire pour débloquer la situation.
L’organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) traverse une crise grave. Son mécanisme d’appel ne fonctionne plus car les États-Unis ont bloqué la nomination des membres de l’organe d’appel : par conséquent, la plupart des rapports des groupes spéciaux font l’objet d’un appel « dans le vide » et les différends ne sont pas réglés. À l’heure actuelle, les membres de l’OMC ont donc beaucoup de mal à faire appliquer les obligations au titre de l’OMC au moyen des plaintes contre les mesures qu’ils jugent comme étant en violation de ces obligations.
Peut-on résoudre la crise de l’organe d’appel en y ajoutant des problèmes ?
Lorsqu’elle a été priée d’indiquer ce qu’il faudrait faire pour lever le blocage des États-Unis, la représentante au Commerce du pays, Katherine Tai, n’a pas offert de propositions concrètes quant à la façon de réformer l’organe d’appel de manière à dissiper les préoccupations de Washington. Elle a plutôt mentionné des problèmes plus larges du système de règlement des différends et encouragé les membres de l’OMC à y réfléchir./p>
Peut-on résoudre la crise de l’organe d’appel en y ajoutant des problèmes ? En théorie, une telle approche peut s’avérer efficace pour résoudre les divergences, puisqu’il existe ainsi plus d’opportunités de réaliser des concessions. Cependant, en l’espèce, les efforts des États-Unis ne s’accompagnent pas de propositions concrètes sur les problèmes spécifiques comme sur les problèmes larges, et pourraient donc ne pas être fructueux.
La crise de l’organe d’appel
Cela fait plusieurs années que les États-Unis se disent préoccupés par l’organe d’appel, mentionnant entre autres sa « trop grande portée judiciaire ». Ils sont finalement passés de la parole aux actes. Sous l’administration Obama, les États-Unis décidèrent de ne pas reconduire le membre de l’organe d’appel des États-Unis pour un second mandat, présentant plutôt un autre candidat. Poussant cette approche déterminée encore plus, ils s’opposèrent par la suite à la reconduction du mandat du membre coréen de l’organe d’appel au sujet duquel ils avaient des préoccupations et firent pression pour qu’il soit remplacé.
Malgré ces actions fermes, l’administration Trump a surpris tout le monde lorsqu’elle a refusé d’approuver la nomination de nouveaux membres pour l’organe d’appel au moment où leurs mandats expiraient. L’organe d’appel n’est donc pas en mesure de fonctionner et de connaître les appels.
À ce moment-là, les membres impliqués dans un différend auraient pu choisir d’adopter les rapports des groupes spéciaux, ce qui aurait pu atténuer les effets néfastes de l’effondrement de l’organe d’appel. Mais non : les membres n’ayant pas eu gain de cause ont généralement fait appel du rapport du groupe spécial dans le vide laissé par l’organe d’appel qui n’est pas opérationnel, laissant de nombreux différends en suspens.
Plusieurs membres de l’OMC (mais pas les États-Unis) ont créé un mécanisme d’appel alternatif, l’arrangement multipartite concernant une procédure arbitrale d’appel provisoire. Celui-ci n’a toutefois pas encore entendu d’appel. Dans le meilleur des cas, cela ne pourrait être qu’une solution partielle, puisqu’il n’inclut pas les États-Unis ou plusieurs autres membres proéminents de l’OMC qui semblent peu désireux de s’y joindre.
Quelles sont les préoccupations plus larges des États-Unis à l’égard du règlement des différends de l’OMC ?
Lorsqu’on leur demande ce qu’il faudrait faire pour restaurer l’organe d’appel, les représentants des États-Unis esquivent la question et mettent l’accent sur des problèmes plus larges du règlement des différends. Katherine Tai a récemment offert les réflexions suivantes (voir également ses déclarations à Genève en octobre dernier). Elle a d’abord dit « je sais que l’on parle beaucoup de l’organe d'appel, et je comprends tout à fait pourquoi c’est le cas pour l’Organe d'appel et pour nous ». Mais elle dit ensuite « je veux élargir le débat et indiquer que… l’OMC doit être réformée pour être plus réactive, et c’est aussi le cas de sa fonction de règlement des différends qui doit évoluer en tant que partie intégrante de cette institution ».
La responsable au Commerce pour les États-Unis a suggéré trois domaines spécifiques de réforme : (1) « Nous pensons que fondamentalement il devrait faciliter le règlement des différends entre les membres » ; (2) Je pense que fondamentalement, d’un point de vue institutionnel, il devrait renforcer et faciliter le fonctionnement des autres aspects de l’OMC, c’est-à-dire la fonction de négociation et aussi la fonction de contrôle de l’OMC, plutôt que de les écraser » ; et (3) « lorsque l’on parle de règlement des différends, décidons de parler du règlement des différends et de le distinguer du contentieux lui-même, qui n’est qu’une méthode de règlement des différends parmi d’autres ».
Examinons ces points un par un pour voir comment les règles du mémorandum d’accord sur le règlement des différends (le mémorandum) fonctionnent et voir si une réforme est nécessaire.
L’équilibre existant dans le mémorandum entre règlement et procédure
La première déclaration de Mme. Tai était « Nous pensons que fondamentalement, il devrait faciliter le règlement des différends entre les membres ». Notons d’emblée que « le règlement des différends » figure dans le titre du mémorandum, plutôt qu’une référence à quelque chose de plus antagoniste comme « système de contentieux ». Sur le fond, le mémorandum contient de nombreuses dispositions visant clairement à faciliter le règlement des différends. D’abord, avant d’exiger la création d’un groupe spécial pour connaître le différend, le mémorandum exige d’un plaignant qu’il demande des « consultations ». Ces consultations font partie du règlement, comme l’indique l’article 4.5 : « Au cours des consultations engagées conformément aux dispositions d’un accord visé, avant de poursuivre leur action au titre du présent mémorandum d’accord, les Membres devraient s’efforcer d’arriver à un règlement satisfaisant de la question ». Et l’article 4.3 parle d’« engag[er] des consultations de bonne foi ».
L’article 3.7 renforce cette idée, indiquant qu’« [a]vant de déposer un recours, un Membre jugera si une action au titre des présentes procédures serait utile ». Il note que « [l]e but du mécanisme de règlement des différends est d’arriver à une solution positive des différends » et affirme qu’une « solution mutuellement acceptable pour les parties et compatible avec les accords visés est nettement préférable ».
Il est évident que le mémorandum, sous sa forme actuelle, est conçu pour « faciliter le règlement des différends entre les membres.
Par ailleurs, l’article 5 prévoit des méthodes de règlement moins contentieuses, telles que « les bons offices, la conciliation et la médiation ». Au titre de ce mécanisme, la directrice générale pourrait aider les membres à régler leur différend dans le cadre de ses fonctions.
Et l’article 25 prévoit une disposition générale d’arbitrage, qui peut également être utilisée pour éviter les contentieux parfois trop publics et conflictuels.
Compte tenu de toutes ces dispositions, il est évident que le mémorandum, sous sa forme actuelle, est conçu pour « faciliter le règlement des différends entre les membres ».
Ensuite, Mme Tai a indiqué que le règlement des différends « devrait renforcer et faciliter le fonctionnement des autres aspects de l’OMC, c’est-à-dire la fonction de négociation et aussi la fonction de contrôle de l’OMC, plutôt que de les écraser ». Cela fait plusieurs années maintenant que les États-Unis avancent cet argument au sujet des négociations. On pourrait l’expliquer par le fait que les gouvernements pourraient être moins susceptibles de négocier sérieusement s’ils pensent qu’ils peuvent atteindre leurs objectifs au moyen d’un litige donnant lieu à des interprétations plus favorables des dispositions existantes.
Il ne peut être exclu que les gouvernements ont parfois tenté d’obtenir des interprétations au moyen des différends leur donnant un résultat qu’ils n’auraient pu atteindre dans le cadre d’une négociation. Toutefois, l’échec des négociations menées à l’OMC ces dernières années est fort probablement dû à d’autres raisons. Fondamentalement, il est très difficile d’atteindre un consensus sur un quelconque sujet d’importance dans une organisation composée de 164 membres aux points de vue très diverses.
S’agissant de la fonction de contrôle de l’OMC, elle semble marcher plutôt bien, et l’on ne voit pas bien ce qui préoccupe les États-Unis à cet égard.
Finalement, Katherine Tai a dit « lorsque l’on parle de règlement des différends, décidons de parler du règlement des différends et de le distinguer du contentieux lui-même, qui n’est qu’une méthode de règlement des différends parmi d’autres ». Ce point semble lié au premier mentionné d’une certaine manière. L’on ne voit toutefois pas bien ce qu’elle veut dire, puisque le contentieux est séparé du règlement des différends dans les disposition du mémorandum. Il existe un chevauchement, mais les voies à suivre sont aussi différentes, et il est aisé de quitter la voie du contentieux pour suivre celle du règlement, à tout moment.
Il est temps que les États-Unis proposent des solutions
Il est vrai que le règlement des différends présente des problèmes. Par exemple, j’ai argué en faveur d’un raccourcissement important de la procédure, car « un retard de justice est un déni de justice ».
Mais ce qui est important ici, qu’il s’agisse de l’organe d’appel spécifiquement ou du règlement des différends en général, est de faire des propositions de réforme. Les États-Unis ont tout à fait le droit d’avoir des objections quant au fonctionnement de l’organe d’appel ou du système en général. Mais s’ils ont des préoccupations spécifiques, alors ils doivent proposer des solutions. Et cela vaut pour la « crise circonscrite de l’organe d’appel » comme pour la « réforme plus large du règlement des différends de l’OMC ».
Les États-Unis ont tout à fait le droit d’avoir des objections quant au fonctionnement de l’organe d’appel ou du système en général. Mais s’ils ont des préoccupations spécifiques, alors ils doivent proposer des solutions.
Quel que soit le problème, le premier pas vers une solution exige des États-Unis, en tant que gouvernement imposant le blocage des nominations, qu’ils offrent des suggestions concrètes des modifications qu’ils désirent. S’ils ne font pas de propositions de nouveau libellé pour répondre aux problèmes qu’ils mentionnent, le système court le risque de s’effondrer davantage, et les États-Unis eux-mêmes courent le risque d’être laissés pour compte par les autres membres qui vont de l’avant.
Simon Lester est le président de WorldTradeLaw.net et de China Trade Monitor. Il a également travaillé pendant deux ans en tant que conseiller juridique à l’Organisation mondiale du commerce.
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