Le programme sur le commerce et l’environnement avance lentement en amont de la CM12
Les discussions sur le commerce et la durabilité environnementale, la pollution plastique et la réforme des subventions aux combustibles fossiles à l’OMC ont continué d’avancer malgré le report de la 12ème Conférence ministérielle. Ieva Baršauskaitė de l’IISD examine de plus près les activités menées au titre des trois principales initiatives et leurs axes de travail en amont de la conférence.
Le report de la douzième Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en décembre dernier a perturbé plusieurs processus de négociation en cours, mais cela n’a pas freiné les ministres des membres désireux de faire avancer les discussions sur le commerce et l’environnement. Le 15 décembre, les coauteurs des trois initiatives que sont les discussions structurées sur le commerce et la durabilité environnementale (TESSD), le dialogue informel sur la pollution par les plastiques et le commerce de plastiques écologiquement durables (DIP) et la réforme des subventions aux combustibles fossiles (RSCF), ont présenté à grands traits les feuilles de route qu’ils proposent pour examiner le rôle du commerce et des règles commerciales dans la réponse à ces préoccupations. Six mois plus tard, les ministres des membres impliqués vont être en mesure de faire le point sur les progrès accomplis et de fixer les prochaines étapes.
Si elles relèvent toutes largement des initiatives « environnementales », les membres qui y prennent part et la portée des travaux des TESSD, du DIP et de la RSCF sont bien différents. Pourtant, dans leur ensemble, elles regroupent près de la moitié des 164 membres de l’OMC, ce qui démontre l’importance croissante des questions liées à l’environnement et à la durabilité dans le programme de l’organisation. Il vaut donc la peine d’examiner ces initiatives de plus près et de déterminer leurs objectifs avant que les ministres ne se rassemblent.
Historique des questions environnementales à l’OMC
Les considérations environnementales ont toujours fait partie du mandat de l’OMC. Le préambule de l’Accord de Marrakech établissant l’OMC contient l’objectif clair de « l’accroissement de la production et du commerce de marchandises et de services, tout en permettant l’utilisation optimale des ressources mondiales conformément à l’objectif de développement durable, en vue à la fois de protéger et préserver l’environnement et de renforcer les moyens d’y parvenir d’une manière qui soit compatible avec leurs besoins et soucis respectifs à différents niveaux de développement économique ». La Décision ministérielle de 1994 sur le commerce et l’environnement a créé le Comité du commerce et de l’environnement (CCE), qui est chargé d’identifier et de comprendre les « relations entre le commerce et l’environnement, de manière à promouvoir le développement durable » (voir article). Le CCE est depuis longtemps le principal forum multilatéral de discussion sur les questions commerciales et environnementales entre les membres. Le CCE permet également aux membres de recevoir des mises à jour régulières sur les accords multilatéraux sur l’environnement (AME) et les informations pertinentes liées au commerce en découlant.
Lancé en novembre 2001, le Programme de Doha pour le développement incluait un mandat pour des négociations sur le commerce et l’environnement, s’intéressant en particulier à la relation entre les règles de l’OMC et les accords multilatéraux sur l’environnement, la collaboration entre les secrétariats de l’OMC et des AME, et l’élimination des droits de douanes et des obstacles non tarifaires sur les biens et services environnementaux. Ces négociations, menées dans le cadre d’une session spéciale du CCE (CCE-SS), n’ont toutefois jamais produit de résultat multilatéral.
46 membres de l’OMC ont repris une partie des travaux du CCE-SS dans le cadre des négociations pour un Accord plurilatéral sur les biens environnementaux (ABE), lancées en 2014 et cherchant à promouvoir les échanges des produits environnementaux. Toutefois, ces négociations sont à l’arrêt depuis 2016. Des discussions sont maintenant en cours pour une éventuelle reprise des discussions ABE dans l’une des trois initiatives, les TESSD.
Les trois sœurs
Les TESSD, le DIP et la RSCF sont trois initiatives distinctes avec des membres différents, notamment des membres de l’OMC de toutes régions et de tous niveaux de développement. Si l’adhésion aux TESSD, au DIP et à la RSCF est limitée, la participation à leur réunion ne l’est pas : tous les membres de l’OMC peuvent prendre part aux discussions sans être nécessairement signataires de l’initiative. L’ensemble, des membres de l’OMC reçoivent également des mises à jour régulières sur ces discussions lors des réunions du CCE. Ces initiatives servent de forum permettant de mieux comprendre les bonnes pratiques et d’en débattre, plutôt que de négocier et ne comportent aucun mandat ou objectif spécifique. Toutefois, des déclarations ministérielles conjointes permettent aux participants de mieux planifier leurs activités et les étapes suivantes. Si certaines de ces activités pourraient produire des résultats dès 2022 ou 2023, probablement en lien avec le recueil de meilleurs renseignements et données ou avec le soutien en faveur des bonnes pratiques dans la conception de politiques, l’on s’attend à ce que ces trois initiatives produisent un ensemble de recommandations ou d’autres types de résultats à la CM13.
Les Discussions structurées sur le commerce et la durabilité environnementale
Lancées par 50 membres de l’OMC en novembre 2020, les TESSD s’attachent à promouvoir la transparence et le partage d’information, à identifier les domaines dans lesquels des travaux futurs pourraient être menés dans le cadre de l’OMC, à soutenir les besoins en matière d’assistance technique et de renforcement des capacités (notamment pour les pays les moins avancés), et à travailler sur des « résultats livrables » concernant la durabilité environnementale dans les divers domaines de l’OMC. Le 15 décembre 2021, la Déclaration ministérielle sur les TESSD a non seulement porté le nombre de membres participant à l’initiative à 71, mais a également identifié un ensemble clair et limité de mesures devant être prises collectivement, et a adopté une feuille de route des activités à mener jusqu’en décembre 2022.
Les participants aux TESSD ont lancé plusieurs axes de travail variés lors du premier semestre de 2022. Les coauteurs ont préparé un plan de travail pour l’année, comprenant six domaines d’action :
- Discussions spécifiques sur les mesures et politiques climatiques liées au commerce
- Promouvoir et faciliter le commerce des biens et services environnementaux
- Instaurer une économie circulaire plus efficace dans l’utilisation des ressources
- Promouvoir des chaînes d’approvisionnement durables et prendre en compte les difficultés et possibilités qui découlent de l’application de normes en matière de durabilité et de mesures connexes, en particulier pour les membres en développement
- Défis et possibilités en matière de commerce durable – renforcement des capacités et assistance technique (Aide pour le commerce)
- Effets environnementaux et impacts sur le commerce des subventions pertinentes
Les activités dans ces domaines sont menées par quatre groupes de travail informels qui se concentrent sur 1) les mesures climatiques liées au commerce, 2) les biens et services environnementaux, 3) l’économie circulaire/la circularité et 4) les effets environnementaux et impacts sur le commerce des subventions pertinentes.
Travaillant en étroite collaboration avec les parties prenantes des organisations internationales, de la société civile, des organisations non-gouvernementales et de la communauté des affaires, les coauteurs des TESSD ont entamé des discussions actives sur les questions abordées par chaque groupe de travail.
Si le plan de travail des TESSD n’inclut pas de réunion ou de déclaration ministérielle à l’occasion de la CM12, une réunion de bilan de haut niveau sera organisée en décembre pour examiner les progrès accomplis, notamment l’identification des bonnes pratiques, des mesures volontaires et des partenariats dans les domaines concernés.
Si le plan de travail des TESSD n’inclut pas de réunion ou de déclaration ministérielle à l’occasion de la CM12 tenue ce mois-ci, une réunion de bilan de haut niveau sera organisée en décembre pour examiner les progrès accomplis, notamment l’identification des bonnes pratiques, des mesures volontaires et des partenariats dans les domaines concernés, et adopter les prochaines étapes dans la perspective de la CM13. Les TESSD sont maintenant à mi-parcours de leur préparation pour cette réunion de bilan et deux réunions formelles supplémentaires sont prévues en juillet et en octobre.
Le Dialogue informel sur la pollution par les plastiques et le commerce de plastiques écologiquement durables
Lancé en même temps que les TESSD en novembre 2020, le DIP s’est rapidement élargi, passant de 7 à 70 membres de l’OMC, qui souhaitent lutter contre les coûts environnementaux, sanitaires et économiques croissants de la pollution plastique en utilisant le commerce comme instrument de réduction de la pollution par les plastiques et de promotion des échanges écologiquement durables des plastiques. Les travaux menés par le DIP en 2021 en donné lieu à la déclaration ministérielle de décembre 2021, qui soulignait également les actions prioritaires et la feuille de route de l’initiative, et visait « des résultats concrets, pragmatiques et efficaces […] au plus tard pour la treizième Conférence ministérielle ».
Après l’approbation du plan de travail, trois axes de travail ont été lancés pour permettre aux membres du DIP de prendre part à une discussion bien structurée sur les sujets suivants :
- Les questions transversales, y compris la promotion de la coopération internationale et la meilleure disponibilité des renseignements et des données sur le plastique, ainsi que l’assistance technique et le renforcement des capacités.
- La promotion du commerce pour lutter contre la pollution plastique, notamment grâce à la promotion des échanges de produits de substitution et de remplacement, de technologies de gestion écologiquement durable des déchets, et de plastiques réutilisés et recyclés.
- La circularité et la réduction pour lutter contre la pollution plastique, où les participants analysent d’éventuelles bonnes pratiques dans les efforts de réduction des plastiques inutiles ou nocifs, y compris les plastiques et emballages à usage unique, ainsi que les données d’expérience pour évoluer vers un commerce des plastiques plus circulaire.
Le processus du DIP est conceptuellement lié à un processus parallèle mené aux Nations Unies, notamment l’adoption d’une résolution historique lors de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (UNEA 5.2) visant à établir un Comité international de négociation pour l’élaboration d’un accord international sur la pollution plastique d’ici à 2025. Les participants au DIP cherchent à garantir la cohérence et la complémentarité des deux processus, notamment grâce à l’inclusion active des parties prenantes dans le processus du DIP. La coopération et les partenariats internationaux avec d’autres organisations internationales sont très importantes pour le DIP. Jean-Marie Paugam, le Directeur général adjoint de l’OMC l’a souligné dans ses remarques à l’occasion de la réunion ministérielle annuelle sur l’environnement de l’Organisation de coopération et de développement économiques à Paris, lorsqu’il a dit que la pollution plastique et le commerce des plastiques constituaient « l’une des questions environnementales les plus pressantes sur lesquelles l’OMC travaillait à l’heure actuelle, conjointement avec les négociations mondiales en cours sur les subventions à la pêche ».
Le plan de travail du DIP prévoit quatre réunions plénières en 2022, accompagnées de travaux intersessions. L’on ne sait toutefois pas encore avec certitude si une réunion de haut niveau sera organisée cette année.
La réforme des subventions aux combustibles fossiles
Ce processus a débuté lors de la CM11, lorsque 12 pays membres développés et en développement de l’OMC ont présenté une déclaration ministérielle sur la réforme des subventions aux combustibles fossiles, affirmant leur intention de rationaliser et d’éliminer progressivement les subventions inefficaces aux combustibles fossiles, tout en tenant compte des besoins spécifiques des pays en développement, et de mener ces discussions dans le cadre de l’OMC. Depuis, l’initiative s’est étendue et compte maintenant 44 membres. La déclaration ministérielle sur la RSCF a été publiée en décembre 2021, conjointement avec celles sur les TESSD et le DIP.
Les combustibles fossiles, notamment le charbon, le gaz et le pétrole, étaient responsables de 86 % des émissions de dioxyde de carbone de ces dix dernières années. Les subventions pour l’utilisation et la production de combustibles fossiles font l’objet d’une attention croissante. En novembre 2021, la Conférence de Glasgow sur les changements climatiques (COP26) a fait pour la première fois référence à l’élimination progressive de ces subventions. La COP26 a également été le témoin du lancement de l’alliance « Beyond Oil and Gas » visant à aligner la production de pétrole et de gaz avec l’objectif ambitieux de limiter le réchauffement mondial à moins de 1,5°C de l’Accord de Paris.
La déclaration ministérielle sur la RSCF s’inscrit dans le droit fil de l’engagement pris à la COP26, et confirme, entre autres, que l’OMC « peut jouer un rôle central dans la réduction des distorsions des échanges et des investissements causées par les subventions aux combustibles fossiles en mettant en place des disciplines effectives sur les subventions inefficaces aux combustibles fossiles ».
Les prix croissants de l’énergie, aggravés par l’attaque de l’Ukraine par la Russie à la fin février ont incité de nombreux gouvernements à chercher urgemment des moyens d’aider les consommateurs à absorber ce choc. Ces mesures ont, à leur tour, inversé la tendance baissière des subventions aux combustibles fossiles.
Les prix croissants de l’énergie, aggravés par l’attaque de l’Ukraine par la Russie à la fin février ont incité de nombreux gouvernements à chercher urgemment des moyens d’aider les consommateurs à absorber ce choc. Ces actions, à leur tour, ont inversé la tendance baissière des subventions aux combustibles fossiles, alors que les pays du monde entier introduisent des mesures d’allègement fiscal et des prix plafonnés entre autres. Toutefois, la nécessité plus large d’éliminer ces subventions demeure.
Les participants à l’initiative sur la RSCF évaluent actuellement le moment opportun et la manière de reprendre leurs activités cette année. Il est cependant clair que la question reste une priorité pour de nombreuses délégations de l’OMC, dont certaines l’ont déjà abordée lors de la réunion TESSD du 31 mars 2022.
Et maintenant ?
Les TESSD, le DIP et la RSCF montrent que les membres de l’OMC sont en mesure d’agir sur les questions importantes pour le commerce et la durabilité d’une manière qui reste assez innovante dans l’organisation et qui inclut des membres de toutes régions et de tous niveaux de développement : des pays parmi les moins avancés, des pays en développement et des pays développés. Ces discussions, et les formats choisis pour les mener soulignent la nécessité d’avoir des échanges informels plutôt que des négociations, quant au rôle du commerce dans les efforts des membres de l’OMC de lutte contre le changement climatique, la pollution plastique, et les émissions croissantes de gaz à effet de serre, ainsi que dans leurs stratégies pour réaliser les objectifs de l’Accord de Paris.
Les TESSSD, le DIP et la RSCF mettent clairement l’OMC au cœur des débats sur le rôle de la politique commerciale et de l’environnement, en tous cas pour ceux qui sont disposés à engager une telle conversation.
Les trois déclarations ministérielles publiées en décembre réaffirment la volonté des participants aux TESSD, au DIP et à la RSCF de poursuivre leurs travaux malgré la perturbation des travaux de l’OMC causée par la COVID-19. Lors de la CM12, nous pouvons nous attendre à ce que ces initiatives fassent partie des discussions quant à l’avenir de l’OMC. Si les négociations en cours sur les subventions à la pêche pourraient devenir le test ultime démontrant si l’OMC est capable de produire une réponse multilatérale aux défis mondiaux de la durabilité, il est clair que les TESSSD, le DIP et la RSCF mettent clairement l’OMC au cœur des débats sur le rôle de la politique commerciale et de l’environnement, en tous cas pour ceux qui sont disposés à engager une telle conversation.
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