Les questions de développement à la treizième Conférence ministérielle : facteur rédhibitoire ou changement de donne ?
Les pays en développement et les PMA représentant 75 % des membres de l'OMC, les négociations sur les questions de développement restent d'actualité. Cependant, certaines conversations ont été historiquement difficiles et prolongées. Rashid S. Kaukab souligne l'importance de parvenir à des résultats concernant le traitement spécial et différencié pour les économies en développement et le traitement des PMA après leur sortie de la catégorie.
Les questions relatives au développement sont présentes dans toutes les négociations et discussions à l’Organisation mondiale du commerce
De nombreuses questions de développement présentées par les pays en développement et les pays les moins avancés (PMA) font l’objet de négociations dans presque tous les comités de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui traitent d’accords et de sujets de négociation spécifiques. L’importance accordée aux questions de développement au sein de l’OMC est compréhensible, puisque 75 % des membres de l’OMC sont des pays en développement et des PMA, et que leur développement économique et social est essentiel à la prospérité mondiale. Toutefois, au-delà de cette acceptation générale et commune de l’importance des questions de développement, les négociations sur des questions de développement spécifiques à l’OMC ont souvent été difficiles, complexes et prolongées. La situation n’est pas différente à l’approche de la treizième Conférence ministérielle (CM13).
Les négociations sur des questions de développement spécifiques à l’OMC ont souvent été difficiles, complexes et prolongées.
Tout en reconnaissant la valeur de toutes les questions de développement spécifiques à un accord ou à un sujet, dont certaines sont abordées dans d’autres articles de ce numéro de la Revue, cet article se concentre sur deux grandes questions de développement qui englobent de nombreux accords et sujets de négociation de l’OMC. Il s’agit du traitement spécial et différencié (TSD) pour les économies en développement et du traitement des PMA immédiatement après leur sortie de la catégorie des PMA afin d’assurer une transition sans heurt vers leur nouveau statut au sein de l’OMC.
Le renforcement et la mise en œuvre des dispositions relatives au TSD figurant dans les accords de l’OMC
Les dispositions relatives au TSD qui accordent aux pays en développement des droits spéciaux et permettent aux autres membres de les traiter plus favorablement font partie intégrante des accords et des négociations de l’OMC. Selon le secrétariat de l’OMC, 157 dispositions de ce type figurent dans les accords de l’OMC et 16 autres dans les décisions ministérielles.
Les pays en développement et les PMA font valoir que la plupart de ces dispositions, telles que rédigées actuellement, sont vagues ou utilisent un langage exhortatif sans apporter la clarté, la prévisibilité et la certitude nécessaires à leur mise en œuvre par les membres de l’OMC. Selon eux, elles n’ont donc eu qu’une utilité limitée. Les pays en développement et les PMA ont obtenu de la quatrième Conférence ministérielle, en 2001, un mandat pour remédier à cette lacune dans les dispositions relatives au TSD. Plus précisément, le paragraphe 44 de la Déclaration adoptée lors de la conférence ministérielle de Doha stipule que toutes les dispositions relatives au TSD « seront réexaminées en vue de les renforcer et de les rendre plus précises, plus effectives et plus opérationnelles ». Ce mandat devait être mis en œuvre avant juillet 2002.
À cette fin, les pays en développement et les PMA ont soumis 88 propositions portant sur les dispositions relatives au TSD dans presque tous les accords de l’OMC, suggérant comment ces dispositions pourraient être renforcées et rendues plus précises, effectives et opérationnelles. Les négociations sur ces propositions n’ont toutefois pas donné lieu à des résultats positifs, à l’exception de cinq d’entre elles qui concernaient uniquement les demandes des PMA et pour lesquelles une décision a été adoptée lors de la sixième Conférence ministérielle en 2005.
Aucun progrès n’a été réalisé depuis lors, les pays développés faisant valoir que les propositions visent à obtenir des exemptions généralisées et illimitées des règles de l’OMC. Ils souhaitent que les pays en développement et les PMA fournissent des justifications supplémentaires et étayent leurs propositions par des preuves concrètes de leur nécessité. Les économies développées ont également exprimé leur préoccupation quant à l’utilisation indiscriminée des flexibilités demandées par tous les pays en développement, sans tenir compte des différences dans leurs niveaux de développement.
Au cours de cette longue période, deux évolutions majeures sont intervenues du côté des pays en développement et des PMA, qui ont examiné les 88 propositions initiales et en ont sélectionné 25 qu’ils ont soumises sous forme d’ensemble à l’examen de la CM10 en 2015. Ils l’ont fait en tant que G-90, un groupe qui comprend tous les membres du Groupe africain, du Groupe des PMA et du Groupe des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique au sein de l’OMC. Puis, les pays développés n’ayant pas réussi à s’engager sur cet ensemble de propositions, le G-90 a réduit le nombre de propositions prioritaires relatives au TSD à 10 et les a présentées sous la forme d’un projet de décision ministérielle lors de la CM11 en 2017. Toutefois, les ministres ne sont parvenus à aucune décision ni à aucune déclaration.
Depuis lors, le G-90 a cherché à négocier un résultat pour ces 10 propositions spécifiques à un accord en répondant aux questions des autres membres de l’OMC à leur sujet, en fournissant des justifications économiques et de développement, y compris la relation des propositions individuelles avec les Objectifs de développement durable pertinents des Nations Unies et la nécessité de ces dispositions pour faire face aux crises de la COVID-19 et du changement climatique, entre autres, et en persuadant les pays développés de tenir des discussions approfondies sur les propositions lors de la session extraordinaire du Comité du commerce et du développement (CCD-SE), afin de trouver des résultats acceptables. Le CCD-SE est l’organe de l’OMC chargé de mener les négociations conformément au paragraphe 44 de la Déclaration ministérielle de Doha.
Malgré ces efforts, la 12ème Conférence ministérielle de 2022 n’est parvenue à dégager un consensus sur aucune des propositions. Sur le plan positif, les ministres ont réaffirmé que les dispositions relatives au TSD pour les pays en développement membres et les PMA « [faisaient] partie intégrante de l’OMC et de ses Accords » et ont chargé les fonctionnaires de « continuer d’œuvrer à l’amélioration de l’application du traitement spécial et différencié dans la session extraordinaire du CCD et dans d’autres instances compétentes de l’OMC, selon ce qui aura été convenu, et de faire rapport sur les progrès accomplis au Conseil général avant la CM13 ».
En février 2023, l’Afrique du Sud a présenté une soumission détaillée au nom du G-90, fournissant une justification supplémentaire pour les 10 propositions, en tenant compte des questions et préoccupations antérieures des pays développés. Cette soumission précise que les propositions ne cherchent pas à obtenir des exemptions générales, indéfinies et/ou indiscriminées des règles de l’OMC. Elles visent plutôt des flexibilités spécifiques, limitées dans le temps et clairement énoncées pour les pays en développement qui font face à des contraintes et pour les PMA.
La soumission, dont l’accès est restreint, proposait également la tenue d’une série de réunions formelles du CCD-SE afin de mener des discussions ciblées et techniques sur les dix propositions. Elle indique que la première de ces réunions devrait être consacrée à des discussions de fond sur les propositions relatives à l’Accord sur les obstacles techniques au commerce et à l’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires.
Le G-90 a également indiqué que sa prochaine soumission inclurait des propositions révisées sur l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, l’Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce et l’article XVIII B de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (GATT), suivies par des propositions révisées sur les cinq autres (qui concernent les articles XVIII A et C du GATT, la Clause d’habilitation, l’article 66.2 de l’Accord sur les ADPIC, l’Accord sur l’évaluation en douane et les accessions à l’OMC). Le G-90 souhaite des discussions de fond sur l’ensemble des 10 propositions en vue de parvenir à des résultats d’ici à la CM13.
Le traitement des PMA immédiatement après leur reclassement
Les Nations Unies accordent le statut de PMA sur la base de critères bien définis. Ce statut rend les pays éligibles à des mesures internationales de soutien substantielles, y compris dans le cadre de l’OMC. Les Nations Unies décident également de retirer les PMA individuels de la catégorie lorsqu’ils atteignent certains seuils de développement. Une fois reclassés, les PMA ne peuvent plus bénéficier de mesures internationales de soutien.
Dix des 35 PMA membres de l’OMC et quatre des huit pays en voie d’accession à l’OMC sont en passe de sortir de cette catégorie. Bien qu’il s’agisse d’une évolution positive, les PMA ont souligné la nécessité d’assurer un processus de transition sans heurt pour ces pays. Ils font valoir que, compte tenu des défis considérables qu’ils doivent relever en matière de développement et des faiblesses structurelles persistantes dans un monde en proie aux crises, la perte soudaine des mesures internationales de soutien peut réduire à néant les progrès qu’ils ont accomplis et même les faire retomber dans la catégorie des PMA.
Le groupe des PMA a porté cette question à l’attention des membres de l’OMC par le biais de plusieurs soumissions. Leurs principales demandes dans le cadre de l’OMC sont les suivantes :
- L’accès préférentiel au marché accordé aux PMA, par exemple par le biais d’exportations en franchise de droits et sans contingent vers de nombreux pays développés et en développement, devrait être accordé aux PMA reclassés pendant un certain temps ;
- Les PMA reclassés devraient continuer de bénéficier des flexibilités spécifiques aux PMA en vertu de divers accords de l’OMC, ainsi que de l’aide au renforcement des capacités dans le domaine du commerce pendant un certain nombre d’années après leur reclassement. La justification commune est la nécessité d’assurer un processus de transition sans heurt pour les PMA reclassés afin de les préparer à leur nouveau statut de non-PMA au sein de l’OMC.
Les autres membres de l’OMC reconnaissent généralement les préoccupations des PMA reclassés. La CM12 en a pris note et les ministres ont reconnu « le rôle que certaines mesures à l’OMC peuvent jouer dans la facilitation d’une transition sans heurt et durable pour ces Membres après leur sortie de la catégorie des PMA ».
Une avancée majeure a été atteinte le 23 octobre 2023 lorsque le Conseil général de l’OMC a adopté une décision qui encourage les membres à offrir une période de transition sans heurt et durable pour le retrait de leurs programmes de préférences en franchise de droits et sans contingent en faveur des PMA après leur reclassement.
Afin de faire fond sur ce succès, le groupe des PMA continue de mener des discussions au sein du Sous-comité des PMA sur d’autres éléments de sa proposition, notamment ceux liés à l’utilisation des flexibilités spécifiques aux PMA dans les accords de l’OMC, y compris l’aide au renforcement des capacités dans le domaine du commerce pour les PMA reclassés pendant un certain nombre d’années après leur reclassement, à déterminer au cas par cas.
Les résultats en matière de développement à la CM13
Les membres reconnaissent l’importance centrale du développement au sein de l’OMC et certaines questions liées au développement font partie des négociations sur des accords et des questions spécifiques en amont de la CM13. L’on peut raisonnablement s’attendre à ce que des éléments liés au développement fassent partie de tout résultat de la CM13 dans ces domaines.
Grâce à un engagement constructif et soutenu de la part des pays en développement et des pays développés, les membres pourraient rechercher un terrain d’entente et d’éventuels résultats sur au moins certaines des propositions présentées.
Des résultats sur deux questions de développement plus larges lors de la CM13 constitueraient à la fois une réalisation exceptionnelle et un signal fort pour les pays en développement et les PMA que leurs intérêts et leurs préoccupations restent au cœur de l’OMC. L’une de ces questions est celle, déjà ancienne, du renforcement et de l’amélioration de la précision, de l’effectivité et de l’opérationnalité des dispositions relatives au TSD figurant dans les accords de l’OMC. Grâce à un engagement constructif et soutenu de la part des pays en développement et des pays développés, les membres pourraient rechercher un terrain d’entente et d’éventuels résultats sur au moins certaines des propositions présentées.
L’autre question concerne l’urgence de se mettre d’accord sur le traitement à accorder aux PMA reclassés afin d’assurer une transition sans heurt vers leur nouveau statut au sein de l’OMC. L’adoption par le Conseil général d’une partie de la proposition des PMA a créé une dynamique positive. Il reste à voir si cet élan peut se poursuivre sur la partie restante de la proposition afin de parvenir à un accord d’ici à la CM13 pour aider les PMA reclassés à gérer la transition vers le statut de pays en développement.
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